La réunion s’est déroulée de 14h à 18h30 sous la forme d’une table ronde. Environ dix personnes étaient présentes.
Compte-rendu de Benjamin Grassineau
Orientation générale
Il était convenu d’aborder trois grands axes :
1) Les questions philosophiques, éthiques et sociologiques posées par la violence et la déviance, dans la continuité de la précédente réunion : origines et causes de la violence, positionnement par rapport aux institutions d’une recherche visant à réduire ou à éliminer une pratique déviante, question de l’émancipation.
2) La mise en oeuvre, la méthodologie et les finalités d’une recherche-action visant à étudier et à agir sur le phénomène des violences de rue : but, objet de la recherche, articulation avec la prévention spécialisée.
3) Le financement, la participation, les aspects administratifs et légaux pour les différentes personnes et organisations en présence.
Problèmes éthiques, philosophiques
A diverses reprises, la question du statut des jeunes a été évoquée. Le statut juridique ne les rend-il pas vulnérables face à une forme de "colonisation idéologique" ? Ne les prive-t-il pas de parole et de la possibilité d’exprimer leurs désirs ? Qu’on les prenne au sérieux dans leurs actions et leurs revendications ?
D’autres catégories sociales connaissent un même statut d’incapacité juridique ou de "citoyenneté de second rang", (les personnes mentalement différentes, les clandestins, etc.) et sont souvent désignées, le plus souvent à tort, comme porteuses de violence et de menaces, ou, destituées de certains de leurs droits fondamentaux. Comment se positionner face à ce traitement presque séculaire de la déviance ? Oeuvrer à la normalisation ou à l’acceptation sociale de la différence ?
Sur le plan de la recherche, la problématique du statut pose des questions éthiques qui n’ont pas fait consensus. Comment amener les jeunes à choisir eux-mêmes le projet dans lequel ils souhaitent s’engager, au risque, au passage, que leurs désirs et leurs finalités soient en rupture avec ceux de la prévention spécialisée, de la "société" ou de ceux des chercheurs-acteurs ? Mais le désir n’apparaît-il pas dans l’action, n’évolue-t-il pas au fur et à mesure que la pratique produit et modifie les représentations ?
Ont également été soulevées les questions de l’impunité des jeunes liée à leur statut et du rapport à adopter face à certains comportements déviants dits "à risque" (acceptation, prévention, interdiction ?), en tenant compte de leur plus grande fragilité.
Principales pistes de recherche-action évoquées lors de la réunion
Histoire et géographie de la violence dans les quartiers.
La "tradition" des rixes semble s’insérer dans une histoire du quartier, élément fondamental d’une culture du quartier, qui concourt, dans un contexte de forte territorialisation, à la construction identitaire des jeunes. Cette identification au "quartier" peut être à la fois une ressource, mais également une puissante contrainte qui entraîne les jeunes dans des actions de groupes qui peuvent être préjudiciables, pour eux ou pour ceux qui en subissent les conséquences (peur de quitter le quartier, "surveillance des filles" qui cherchent à s’éloigner du quartier, etc.). Comment faire prendre conscience aux jeunes de ces "chaînes" historiques, spatiales, culturelles, souvent invisibles, car opérant en arrière-plan et comment leur offrir des pistes pour s’en émanciper ?
Trois difficultés pourraient survenir dans cette approche.
1) surestimer l’impact de la conscientisation sur le changement des représentations et des comportements,
2) "calquer sur les jeunes" un « projet d’émancipation » dont ils ne seraient peut-être pas porteurs,
3) quel serait le rapport entre la production et la diffusion d’une histoire « officielle » avec des histoires vernaculaires (pourquoi pas une reconstitution historique ?) ?
Fatigue, écrans, rythmes biologiques et violences nocturnes.
Les violences de rue sont-elles liées à des comportements nocturnes de type festif (culturel), à des règlements de compte pour le contrôle de ressources (économique), ou tout simplement à un contexte environnemental et biologique (biologique) ? Un peu des trois probablement, mais le paramètre biologique est rarement pris en compte. Or, il se pourrait que la généralisation des écrans conduise à des comportements plus violents du fait des perturbations du sommeil engendrés par leur consultation excessive.
Cette hypothèse est à explorer en sachant qu’elle doit tenir compte de deux faits qui risqueraient de l’infirmer :
1) les bagarres de rue nocturnes existaient avant l’arrivée massive des écrans individuels,
2) les "rixes" entre bandes sont en diminution depuis une décennie (voir Laurent Mucchielli : https://www.lepoint.fr/societe/les-rixes-entre-bandes-etaient-bien-plus-nombreuses-il-y-a-10-ans-25-10-2018-2265962_23.php).
Il serait sûrement souhaitable, pour mener à bien l’enquête, d’opérer au préalable une typologie des violences nocturnes, afin de cibler au mieux l’objet de l’enquête (âge des participants, nombre de jeunes, niveau de violence, types de bagarres, territoire, territoire, motifs, bagarre pour se « défouler » ou règlements de compte, etc.).
Opposer à la frustration économique et à la rupture de liens, une expérience positive et médiatisée par un autre rapport aux "objets".
Cette recherche-action prendrait la forme d’un local de gratuité, ou d’un espace de gratuité mobile, où se dérouleraient des ateliers gratuits et ouverts (restauration, informatique, réparation d’objets), auto-gérés par les jeunes. La question de l’emplacement a été évoquée : au sein d’un quartier, sur une frontière (médiation par "l’échange non-marchand"), ou un dispositif allant et venant d’un quartier à l’autre (espace de gratuité mobile).
Si le projet a séduit, trois difficultés potentielles ont été évoquées :
1) susciter l’adhésion des jeunes à un projet "hors-norme" sera peut-être difficile (comment l’enraciner et faire en sorte qu’ils comprennent les avantages qu’ils peuvent en tirer ?),
2) des questions de sécurité pourront se poser (matériel détruit, par exemple),
3) le lien avec la délinquance n’est pas direct : il nécessite une justification qui devra être confirmée ou infirmée par l’observation. A ce niveau, la méthodologie de la recherche-action trouve pleinement sa place comme procédure de validation des hypothèses.
Participation, financement.
Un consensus s’est fait autour de l’idée que la question de la forme « administrative » d’une telle recherche ne devra être prise en compte qu’à partir du moment où les objectifs de la recherche-action seront à peu près définis.
Concernant l’idée d’un local de gratuité, de nombreuses questions se sont posées en ce qui concerne sa faisabilité : coût, fonctionnement, nécessité d’une présence sur place.
Contribution de Françoise Crézé
En écho à nos échanges du 26 mars,
Pour poursuivre notre réflexion, il serait peut-être intéressant, que Sébastien, Michel, Tahar, les éducateurs du groupe de recherche présentent chacun une action positive (spontanée ou construite)portée par des jeunes (avec ou sans l’éducateur) et mettent en évidence :
- l’espace
- le temps de l’action
- les principaux acteurs de cette action
- les difficultés rencontrées pour mener l’action
- les résultats, répercussions de cette action sur les protagonistes, dans le groupe de jeunes, sur le quartier, dans leur famille
- les questions, les interrogations suscitées par une telle action
- les jeunes ont-ils envie de poursuivre cette action ? d’en entreprendre une nouvelle ?
- les jeunes ont-ils parlé de cette action ? et à qui ? qu’en ont-ils dit ?
- qu’ont-ils appris ?
Il s’agirait d’essayer de comprendre pourquoi et comment une telle action s’est mise en place
- dans quelles circonstances
- histoire des acteurs
- histoire du lieu où elle s’est déroulée
Quels sont les enseignements d’une telle action en terme de formation, d’anthropologie.