La première visio-conférence organisée par le CEDREA, a duré un peu plus de deux heures. En tout, six personnes s’y sont jointes.
Compte-rendu de Benjamin Grassineau (09 mai 2020)
Voici résumés les principaux points que j’ai retenus lors de la réunion.
Il y a principalement été question du travail social et de la place que peut jouer la recherche-action et la recherche citoyenne dans sa transformation et dans la transformation endogène de populations qui sont habituellement désignés comme étant ses « usagers ».
Qu’est-ce que le CEDREA ?
J’ai commencé tout d’abord par présenter trois des principaux axes du CEDREA. Je vous livre ici un compte-rendu écrit qui dépasse de loin ce que j’ai pu dire durant la présentation et qui est bien entendu subjectif.
Le premier est le choix de la démarche de recherche-action en tant qu’« outil convivial » qui permet à la fois de transmettre et produire des connaissances scientifiques et de mettre en œuvre un changement social. Il s’agit d’une recherche active et ouverte.
- Active (ou expérimentale), car elle ne se contente pas d’enregistrer des données sur des sujets passifs qui ignorent parfois qu’ils sont sous observation (en cela, elle s’écarte significativement de la sociologie durkheimienne ou même compréhensive).
- Ouverte, car à la différence de ce qui se pratique dans d’autres recherches actives, comme la psychologie sociale où les rôles de cobaye, chercheur, sont clairement établis, prédéfinis et hermétiques, les acteurs-chercheurs sont amenés à intervenir activement - bien qu’à des degrés divers suivant les courants de la recherche-action - sur les finalités, les orientations et la mise en œuvre du processus d’expérimentation et de production de la connaissance. La recherche-action implique donc tout à la fois les usagers et les producteurs de la recherche. Il n’y a pas, d’un côté, la construction d’un modèle expérimental par des chercheurs en blouse blanche qui recueillent, traitent des données, formulent des hypothèses, et de l’autre, un processus d’ingénierie sociale appliquée à une population plus ou moins consentante. Elle est également ouverte en tant qu’elle est transdisciplinaire (ouverte à différents courants). En cela, pour conclure, elle se rapproche de nouvelles pratiques scientifiques apparues récemment dans le domaine de la culture libre qui souhaitent ouvrir davantage les portes de l’activité de recherche scientifique (et non plus seulement l’accès à la connaissance scientifique). On parle fréquemment de recherche citoyenne, bien que la locution ne soit pas encore stabilisée.
Un deuxième axe suivi par le CEDREA est le rejet de l’approche « utilitariste ». L’idée étant d’une part de rompre avec le diktat de l’efficacité et d’autre part, de mobiliser le non-marchand, la gratuité, la culture libre, comme des modalités légitimes d’action, de transmission du savoir et de transformation sociale ; mais également de les poser comme des finalités envisageables, bien que non exclusives, dans la recherche-action. Cette posture n’est pas étrangère au positionnement épistémologique, dans la mesure où le marché est une force de clivage qui tend à dissocier, à cloisonner les sphères du producteur et du consommateur. Or, le principe même de la recherche-action est d’intégrer les différents acteurs d’un processus de transformation sociale et de construction du savoir, là où le marché tend plutôt à évacuer l’amateur, le consommateur, au profit du « sachant » qui valorise ainsi ses compétences et son capital immatériel.
Enfin, le troisième axe est celui du travail social dans lequel la recherche-action peut être mobilisée en permettant :
- au travailleur social de s’extraire de son rôle de simple opérateur dans lequel il est de plus en plus enfermé, du fait notamment de la perte d’autonomie du secteur associatif et de l’encadrement réglementaire croissant au sein de la profession,
- à l’usager de sortir de son statut de client passif, où de consommateur de prestations sociales, pour devenir un acteur à part entière de changements sociaux qui le concernent,
- à l’usager de devenir lui-même un travailleur social - et réciproquement : les rôles deviennent ainsi permutables, plus perméables (certaines fonctions, certaines pratiques migrent plus facilement).
Thèmes abordés au fil de la discussion
Cette question de l’implication des acteurs, tant dans le domaine de la recherche que du travail social, qui ont en commun de laisser une place importante à l’économie du don et au bien commun (et qui donc s’appuient sur des incitations à l’action différentes de celles propres aux systèmes marchands), a été abordée à travers plusieurs thèmes, au fil de la discussion.
Le premier thème abordé, si mes souvenirs sont bons, a été la concurrence entre associations philanthropiques au sein du travail social, notamment en temps de confinement, dans le cadre de la distribution alimentaire. Concurrence qui peut se renforcer, si j’ai bien compris, entre des associations issus de la culture religieuse et des associations adossées sur une culture davantage laïque. Cette problématique, qui émerge du terrain et de la pratique, renvoie à celle du développement endogène. Comment passer d’une logique compétitive, qui conduit à considérer les usagers comme une « ressource » instrumentalisée au service d’institutions visant à obtenir un changement normatif ou prédéterminé ou au contraire à préserver un ordre social, à une logique coopérative, où l’institution devient une ressource pour des acteurs qui souhaitent se mobiliser pour transformer leur quotidien - voire pour faire évoluer la société dans son ensemble en faisant par exemple évoluer le Droit ? Et j’ajouterai : quel modèle économique développer pour sortir du modèle concurrentiel (subventions, non-marchand, prestations marchandes, etc.) ?
Cette question a débouché sur une discussion autour du besoin et des formes de reconnaissances à l’intérieur du travail social. N’est-il pas primordial, si l’on veut impliquer les acteurs dans un processus de changement, de garantir une reconnaissance de leurs actions ? Qu’en est-il par exemple, dans le cadre de l’économie du don, du don spontané entre personnes d’un même quartier ? Peut-on, et faut-il le valoriser ? Ou faudrait-il au contraire tenter de construire des outils « neutres », des sortes de « tiers-espaces », qui court-circuitent les systèmes de gratification symbolique pour se concentrer sur l’accroissement du pouvoir d’action, de co-construction de l’environnement conféré aux habitants ?
Pistes de recherche
Une réflexion autour du militantisme a succédé à ce type de questionnements. Quel rapport le militantisme entretient-il avec le travail social ? De cette réflexion a émergé l’idée que deux modèles s’opposent. Un modèle militant où les gratifications sont liées au sens de l’action et à ses caractéristiques intrinsèques (motivations intrinsèques) et un modèle davantage pénétré de logiques économiques marchandes ou « capitalistique » (au sens de capital social et culturel) qui tend, semble-t-il à envahir progressivement le travail social. Comment vérifier l’existence de ces deux modèles ?
Une piste possible pour tenter de répondre à ces questions serait d’entreprendre dans un premier temps une démarche que l’on pourrait qualifier « d’anthropologie réflexive participative » consistant à ce que chaque protagoniste du travail social puisse s’exprimer librement sur leurs propres pratiques du social et sur les formes de reconnaissances qu’ils en attendent.
Cette pratique ouverte d’auto-description grâce à une écriture ou une expression libre, serait un premier pas dans la mise en place d’une recherche-action visant à produire un développement endogène, puisqu’elle inciterait les acteurs du travail social à se questionner, à prendre de la distance avec leurs pratiques, à réinterroger le moteur de leur action.
Mais que faut-il entendre par travail social ? Ce serait une erreur de figer ou d’encadrer la définition à priori puisqu’il importe justement laisser le champ libre aux différentes représentations individuelles. Partant de là, cette démarche conduirait à transcender les barrières conventionnelles du travail social. La pratique et la compréhension du travail social, l’examen de ses motivations, seraient le fait de travailleurs sociaux professionnels, mais aussi des sujets habituellemen1t désignés comme les usagers par l’institution, et aussi des acteurs du travail social qui ne se revendiquent pas comme tels et qui sont souvent porteurs de nouvelles formes de militantisme.
Nous avons donc conclu sur l’intérêt qu’il y aurait, dans un premier temps, à se mettre d’accord sur une question autour de la reconnaissance dans le travail sociale, et plus généralement dans l’activité d’entraide à caractère social, et à essayer d’y répondre chacun.e à notre manière, en mettant en place une activité d’auto-description, ceci afin de dégager de ce regard réflexif un premier portrait de « l’action en mouvement » du travail social et de ses différentes facettes, pour aller au delà de la représentation institutionnelle prédominante qui imprime une forme à l’action sociale qui peut s’avérer limitante en terme de faisabilité, tant pour les usagers que pour les travailleurs sociaux.