Présents : Raphaël BALEGH, Tahar BOUHOUIA, Michel CASTAN, Françoise CREZE, Boubacar DIABY, Biry DIAGANA, Sébastien DOUSSAUD, Benjamin GRASSINEAU, Béata MICHOU, Patrick OBERTELLI, Leïla OUMEDDOUR.
Lors de cette rencontre plusieurs thèmes ont été abordés, dans la continuité de la dernière rencontre, autour de la Recherche-action du labo de l’APSAJ. Ces thèmes seront développés au long de ce compte-rendu.
Compte-rendu de Raphaël Balegh
Les rixes et les frontières : quel(s) lien(s) ?
Il a été convenu par les différents acteurs présents lors de cette rencontre que les rixes autour des quartiers, et cela de manière très générale, faisaient appel à une représentation mentale autour d’un terme qui se situe au centre de ces problématiques, à savoir les « frontières ».
En effet, au-delà de la colère, qui définit le passage à l’acte violent et non pas un point de départ de ces phénomènes de rixes, il semble pertinent de pouvoir évaluer celui-ci d’un autre point de vue. Mais tout d’abord il semble nécessaire de pouvoir définir ce que nous entendons par frontières.
Une frontière est la limite, une ligne la plupart du temps non visible, qui sépare deux lieux bien distincts. Le fait qu’une frontière ne soit pas réellement visible questionne d’une part sa légitimité à restreindre les déplacements des individus, et dans des cas plus extrêmes, à les bloquer.
Prenons l’exemple concret dont il a été question lors de nos échanges : les rixes entre le quartier de Cambrai et celui de Riquet dans le 19ème arrondissement de Paris.
Cette rivalité qui existe depuis un certain nombre d’années a donné naissance à plusieurs rixes violentes dans le temps, créant ainsi une frontière dans l’esprit des jeunes des deux quartiers. Pourtant aucune barrière physique n’existe. La violence ancrée depuis des années ainsi que la colère et la rancune des uns pour le quartier voisin a su créer une barrière mentale pour les jeunes, voire même les habitants ainsi que les acteurs sociaux agissant sur les quartiers. Même si la peur de franchir cette ligne imaginaire est justifiable et justifiée par peur de représailles ou de violences, il a semblé indéniable, pour les acteurs présents lors de cette rencontre, que les représentations des uns et des autres freinent toute démarche de mobilité. Ainsi, par cette frontière mentale et cette crainte de la dépasser, les jeunes habitant les deux quartiers se refusent à passer de l’autre côté du miroir. Une rivalité s’installe donc et amène à des violences entre quartiers, qui durent depuis des années.
Pour ainsi dire il semble qu’un héritage se soit installé depuis un certain temps, héritage que les jeunes s’empressent de s’approprier. Une piste peut être évoquée quant à l’appropriation de cet héritage de rivalités par les jeunes des quartiers en tension. En effet, ces jeunes s’approprient leur territoire, mais pourquoi ?
Lorsque l’on stigmatise un individu sans arrêt, ce dernier finit par croire qu’il est ce qu’on le soupçonne d’être. Une étiquette est alors posée, et il est très difficile de s’en débarrasser. C’est tout le principe de l’effet Pygmalion.
Par ailleurs, en quête d’identité, surtout à la période adolescente, les jeunes s’ancrent dans une dynamique de groupe, à travers la volonté de défendre leur territoire, et donc leur identité. Ils sont « de Riquet », ils sont « de Cambrai », et non pas de Paris ou du 19ème arrondissement. Cette recherche d’identité est liée à une perte de confiance, engendrée par cette étiquette posée sur eux. Il s’agit alors pour nous, adultes ressources des quartiers ou les jeunes résidents, de pouvoir imaginer des dispositifs et actions éducatives permettant de leur redonner confiance en eux et de les amener à s’autoriser une mobilité petit à petit, en dehors de cette frontière mentale bien ancrée.
Mais de quelle(s) manière(s) pouvoir intervenir et effectuer ce travail ?
Plusieurs pistes de travail ont été évoquées
- Pouvoir fédérer les habitants des deux quartiers, à savoir plus particulièrement les parents des jeunes. Si ces jeunes sont en recherche d’identité, il semble pertinent que les parents, qui sont au quotidien avec eux, puissent se rassembler et tenir des discours positifs et éducatifs auprès d’eux. L’association de pères ASCEAF crée par M. DIABY semble être une réponse à ce constat. Car leur parole, bien plus chargée d’affect que nous autres acteurs éducatifs, pourrait faire appel à l’empathie de ces jeunes et les sortir petit à petit de cet héritage presque fataliste ancré dans leurs quartiers. De plus, la nécessité de faire corps à travers un groupe de parents issus des deux quartiers montrerait que le voisin n’est pas différent d’eux.
- Un second point autour de ces questions a été abordé, et est parti d’un projet mis en place par Benjamin GRASSINEAU : le dispositif de gratuiterie mobile. Ce dispositif a été mis en place dans deux villes voisines aux alentours de Carcassonne par l’association GratiLib et consiste en faire circuler une caravane remplie d’objets entre ces deux villes [1]. Ces objets sont des dons faits par des habitants. Les habitants peuvent déposer des objets et/ou en récupérer gratuitement, tout en sachant que ces objets viennent d’une ville voisine avec qui les habitants n’ont pas de liens.
Il s’agit d’objets très divers. La transmission de l’objet est ici très symbolique, et amène une notion d’échange qui va au-delà de l’échange de coups comme c’est le cas entre les quartiers de « Riquet » et de « Cambrai ». Ainsi une hypothèse de travail sur ces quartiers a pu être pensée, à savoir créer deux caravanes dans chaque quartier, puis une fois ces dernières bien identifiées, les rapprocher de la frontière afin de créer un lien au-delà des liens violents qui peuvent aujourd’hui perdurer entre les deux quartiers. La nécessité d’y associer des habitants du quartier est importante, et de manière idéale, des jeunes.
Ce travail est un travail sur la durée, et non automatique. Dans tous les cas, nous sommes en accord avec le fait de faire corps, et ainsi réinventer et repenser nos actions autour de ces phénomènes de rixes. Avec nos actions et nos discours au quotidien, nous partageons la volonté de faire comprendre à ces jeunes qu’ils sont des individus à part entière pouvant s’autoriser à sortir de leurs sentiers battus, que le fatalisme n’existe pas.
Raphaël BALEGH
Educateur spécialisée APSAJ
Secteur Riquet-Stalingrad
Compte-rendu de Patrick Obertelli
A propos de la méthodologie de recherche-action
P Obertelli, le 8 mai 2019
Une recherche-action collaborative implique que les personnes concernées par la recherche-action soient associées à celle-ci. Ceci passe notamment par le fait que les objectifs de la R-A doivent être partagés avec elles et faire sens pour elles. Ceci pour la question de savoir si la suppression des conflits entre "bandes rivales" est susceptible de mobiliser les jeunes concernés. Je veux dire par là qu’il convient d’être attentif aux bénéfices secondaires pour eux de participer à ces processus de confrontations.
Par ailleurs, une recherche-action a un double objectif de production de connaissances scientifiques et d’aide à la conduite des actions concrètes relatives aux problématiques soulevées. Je suis convaincu que cela peut être mobilisant pour les jeunes, mais c’est un sujet à travailler pour que l’intérêt de la démarche soit bien comprise (recherche de sens pour soi et pour le collectif, etc...).
Sur un autre plan, les échanges sur le territoire et les mobilités ont été des plus passionnants. Le concept de réseau, étendu le plus largement possible au-delà des frontières du territoire, s’avère des plus féconds.
Retour de Françoise Crézé : Les violences de rue et ses règlements de comptes. Quelques réflexions.
[1] Il s’agit de la caravane de la gratuité développée par l’association GratiLib et existant depuis fin 2017. Elle circule principalement dans le sud-ouest de la France.