Comment « éduquer » ?
En cette période de confinement, les outils dont dispose l’éducateur en prévention spécialisée pour continuer d’exercer ses missions s’amenuisent ou du moins se modifient en profondeur. Les outils numériques apparaissent alors comme l’atout incontournable pour chacun. Mais le recours au numérique soulève alors différentes questions.
De nouveaux outils de communication ?
Comment contacter les jeunes ? La présence éducative des éducateurs dans les réseaux sociaux là où sont les jeunes est un vrai enjeu de ces dernières années et bouleversera certainement une part de notre travail.
Deux principales questions m’ont animée en ce début de confinement :
- Premièrement, certes m’ouvrir aux réseaux pour être joignable et visible pour les jeunes, mais comment garantir à ces mêmes jeunes de pouvoir continuer d’évoluer dans un espace sans le regard de l’adulte ?
- Deuxièmement, entrer dans une communication numérique, mais comment conserver mon identité professionnelle singulière ?
Dans mon lien à l’Autre, je me sers de ce que je renvoie comme image auprès des jeunes, de mon histoire de pays. J’utilise comme chacun de mes collègues, ce qui me définit. L’une des choses qui me définit c’est de préférer, et de le revendiquer, le face à face. J’argue aux jeunes de ne pas être à l’aise avec un outil comme Snapchat. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris comment on prononçait ce fameux mot.
C’est pour toutes ces raisons que je n’ai pas souhaité créer un Snapchat ou compte Facebook professionnel. Je ne veux pas me fourvoyer en aller dans une voie qui n’est pas la mienne quand je sais que cela peut être un outil avec lequel excellent d’autres collègues. Je suis sûre que l’on peut proposer du contenu intéressant aux jeunes par ce biais, mais ce n’est pas pour moi actuellement. De plus, je reste convaincue que pour le développement psycho-affectif de chaque adolescent et jeune adulte, il faut pouvoir évoluer dans des lieux et expériences hors du regard de l’adulte. Notre travail à nous adultes, que l’on soit parents ou éducateur, est de faire que ces expérimentations se passent le plus en sécurité et que les jeunes soient outillés pour y faire face.
Prendre ou laisser l’initiative du lien ?
Même s’il ne faut pas mégoter avec la vigilance apportée à la bonne santé de tous
actuellement, comment trouver la bonne distance ?
Cette fameuse « bonne distance dans la relation éducative », interrogation qui se pose à tous dans l’exercice de ses fonctions. Au quotidien dans notre travail de rue nous nous posons la question, au niveau individuel et au niveau de l’équipe, de la fréquence de nos rencontres et de notre visibilité sur les différents lieux de notre territoire ainsi qu’auprès de chaque groupe. Régulièrement, nous nous questionnons en ces termes : « je suis déjà passé voir ce groupe-là hier avec toi, il n’est peut-être pas pertinent d’y repasser aujourd’hui ?! »
Les éducateurs de rue savent qu’il faut respecter la temporalité des jeunes et dans le même temps créer la demande chez nos publics, c’est un juste équilibre en perpétuel ajustement que nous faisons sur le territoire. La question de cet équilibre se pose maintenant avec les réseaux numériques. Dois-je contacter tous les jeunes que je connais et dont le numéro de téléphone est toujours valide ? Dois-je contacter tout le monde de la même façon ? Qu’elle est la juste fréquence ?
Je n’estime pas avoir les réponses à toutes ces questions, mais j’ai trouvé mes propres réponses. Loin de faire un planning des appels, SMS, messages whatsapp et autres à faire, je me suis fait une grille mentale de priorité. Contacter en premier les jeunes pouvant rencontrer des difficultés financières majeures ou une interruption de leur situation d’hébergement. Ce n’est pas évoqué frontalement nos inquiétudes pour leurs situations, mais leur envoyer un message de confirmation de notre « toujours présence » même à distance. Ils s’en saisissent ensuite comme ils le souhaitent. Ils s’en sont d’ailleurs saisis immédiatement et des accompagnements vers le droit commun devront être faits dans les prochains jours.
Pour les autres jeunes, comme lors du travail de rue, je me suis servi de prétexte à l’entrée en relation. Que ce soit savoir si telle démarche administrative avance ou les relancer autour d’une candidature à une formation ou un poste. Charge à chacun de trouver le prétexte pour contacter le jeune. Une fois la prise de contact effectuée, force est de constater que les jeunes répondent tous positivement aux messages et se chargent d’alimenter la conversation.
Quant à la question de la fréquence de contact des jeunes n’ayant pas une situation sociale urgente à régler, les semaines qui suivent seront pouvoir d’enseignement. Tout ceci bien sûr à ancrer dans un travail d’équipe pour équilibrer et compléter ce que chacun peut apporter à un jeune en fonction de la relation éducative qu’il a établi avec le jeune.
En conclusion
Face à cette situation, un constat majeur m’apparaît. Toutes ces questions sur comment opérer s’appuie sur le fait que l’éducateur connaît des groupes de jeunes, est en lien avec eux. Pas simple pour l’éducateur nouvellement arrivé de trouver sa place dans un système où l’on s’appuie sur son réseau déjà existant.