Il s’agit ici de rendre compte d’une dynamique qui traverse la Gendarmerie Nationale, résultat combiné d’une volonté de valoriser des acquis théoriques dans l’expérimentation de la recherche et de l’évolution de la réflexion sur le fond d’un domaine d’étude initialement identifié. En priorité, cet exercice vise un niveau de compréhension, de maîtrise de théories sociologiques et de la recherche. Il a été choisi volontairement de ne pas aborder un sujet trop lié aux champs de compétences professionnelles de l’auteur afin de privilégier les acquis méthodologiques. Il est surtout question, à travers ce choix, d’éviter l’écueil du détournement d’une méthode qui servirait une démonstration d’idées, forgées par l’expérience, antérieures aux acquis en sociologie, et non basées sur une approche scientifique.
Il a donc été choisi d’aborder la transformation de la Gendarmerie Nationale. Le choix s’est porté sur cette institution à la suite d’une situation professionnelle qui a mis en contact l’auteur avec des gendarmes français en opération extérieure en Bosnie-Herzégovine [1]. La décision a ensuite été orientée par la médiatisation de la « grogne des gendarmes » qui est survenue à la période même où la décision d’un sujet de mémoire devait s’opérer. En effet, le coup de projecteur médiatique montrait au grand public un phénomène inédit, par le biais des reportages sur les milliers de gendarmes en uniforme manifestant dans diverses villes de France. Il révélait aussi une dynamique institutionnelle innovante, un thème pertinent pour un chercheur novice en sociologie des organisations, plus particulièrement centré sur les dynamiques des organisations et les mutations sociales. Notons au passage, et nous y reviendrons plus tard, que la Gendarmerie Nationale comme objet d’étude, en sciences sociales, n’ayant pas donné lieu à une grande bibliographie, le terrain offrait l’attrait de la découverte, de sortir des sentiers battus. Cet avantage porte intrinsèquement les inconvénients d’un terrain peu défriché parce qu’aussi peu accessible et défiant vis-à-vis des regards exogènes. F. Dieu fait d’ailleurs remarquer « L’auteur des lignes est toutefois bien placé pour souligner combien la gendarmerie a été jusqu’à présent quelque peu rétive, réservée vis-à-vis de toutes formes d’expertise, de réflexions analytiques et prospectives extérieures à l’institution. » [2]
Cependant, la grogne des gendarmes, dans sa version 2001 (il y a eu aussi une vague de mécontentement en 1989 au sein de la gendarmerie nationale), ne jouissait pas du recul nécessaire au sociologue pour une étude du phénomène. Ceci s’est aussi vite traduit par un accès difficile à l’information, une réticence de l’institution et des acteurs concernés à communiquer sur ces événements trop frais et trop sensibles. Les réflexions qui ont suivis les quelques entretiens informels et les diverses lectures sur le sujet ont permis d’entrevoir une dynamique, certes plus restreinte, mais tout aussi intéressante du point de vue du sociologue.
En effet, les pré-entretiens de cadrage et les articles parcourus sur cette question évoquaient les problèmes de la gendarmerie nationale, des gendarmes et de leur famille face à l’extension des zones périurbaines. La gendarmerie nationale a une tradition et une vocation à exercer sa mission de sécurité publique sur les zones rurales, dont certaines sont aujourd’hui absorbées par l’extension des grandes villes. Par ailleurs, ces mêmes sources font des références claires (sans forcément le connaître ou le désigner) au concept d’institution totale telle que l’a défini Erving Goffman. Lors de recherches menées sur un asile psychiatrique, Goffman a montré qu’au sein des institutions pour lesquelles les espaces de vie, de repos et de travail sont confondus en un unique espace et placés sous une même autorité, émergent des propriétés qui sont communes et spécifiques à toutes ces institutions dont les casernes militaires. L’intérêt pour la grogne s’est donc peu à peu déplacé pour se focaliser d’une part sur les transformations qu’apporte la périurbanisation des zones sous responsabilité de la gendarmerie nationale, et d’autre part sur le caractère total que pourrait présenter la gendarmerie nationale, sa place dans l’identité institutionnelle, son évolution et son rôle éventuel dans les dynamiques institutionnelles à l’œuvre dans la gestion de ce phénomène de périurbanisation.
Notes
[1] Pour être plus précis, lors de cette situation de travail l’auteur (civil) était sous l’autorité d’un général de
gendarmerie tandis que certains gendarmes étaient eux-mêmes sous l’autorité de l’auteur dans le cadre d’une mission
de maintien de la paix, qui mêlait des civils et des policiers d’environ 50 pays dans le cadre des Nations Unies.
[2] L’essor de la gendarmerie « Spécial crise » , n°332 - janvier 2002