Une entrée dans la « rue numérique » bienvenue ou prématurée ?
Force est de constater que le confinement n’est pas compatible avec nos missions d’éducat.eur.rice.s de rue. En effet, compte-tenu du fait que notre travail nécessite d’être sur le territoire d’intervention, sur le terrain dans la rue, le fait que nous soyons bloqués au quotidien et pour un temps assez incertain à notre domicile écarte toute possibilité de pouvoir rejoindre notre secteur d’intervention, à savoir l’espace public.
Parallèlement à cela, il est question d’une réflexion autour du travail des éducateurs de rue, réflexion dont la naissance est bien antérieure au confinement actuel.
Il s’agit des réseaux sociaux. En effet, avec l’évolution technologique et l’émergence de toutes les applications liées aux contacts virtuels, tels que Snapchat, Facebook ou Instagram, difficile de ne pas s’imaginer que les jeunes, aujourd’hui munis très tôt de smartphones, ne s’en saisissent pas. Le virtuel n’étant pas la réalité, il semble tout de même qu’il est utilisé avec un certain principe de réalité. Nous avons pu constater que beaucoup de choses et beaucoup d’éléments peuvent circuler sur ces réseaux (organisations de rixes, consommation de produits stupéfiants par vidéos, phénomènes de groupes, localisation des jeunes, etc…).
Ils utilisent ces réseaux comme une extension de leurs actions, déplacements. Mais il s’agit également d’un moyen de communication entre eux. Ils se passent des messages, s’envoient des vidéos, et donc entrent en contact.
Ainsi, ce lieu virtuel, ce monde quelque peu parallèle, fait partie intégrante de la vie des jeunes, et constitue un réel moyen de communication et d’entrée en relation, qu’elle qu’en soit la nature.
Un vrai défi pour les éducateurs de prévention spécialisée. On peut en effet mettre en relation certain évènements relatifs aux vies des jeunes avec ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Il n’est pas rare que des rixes s’organisent sur ces réseaux, de façon discrète. Il n’est d’ailleurs pas impossible que des échanges autour de conduites à risques de tout genre s’y mettent également en place, en toute discrétion des adultes. Il s ‘agit d’un moyen particulièrement pertinent pour pouvoir communiquer à sa guise, loin du regard des autres.
Ainsi nous associer à ce mode de communication peut paraître pertinent. La seule question que nous pourrions ainsi nous poser est « Comment ? », le « pourquoi » ayant été analysé plus tôt.
Plusieurs éléments peuvent en effet être mis en avant. Lorsque nous pouvons agir et être présents sur le quartier, il ne semble pas difficile de pouvoir annoncer notre présence sur le territoire par un message Snapchat par exemple, muni ou non d’une photo. Mais alors que nous sommes confinés à domicile, quelle pertinence a ce mode de communication, à partir du moment où associer une photo n’est parfois pas pertinent (photo non-essentielle à la communication en elle-même) ou nous expose à mettre en avant notre vie personnelle en affichant des lieux de notre quotidien ? Dans l’optique ou nous n’enverrions pas de photo avec ces messages, cela s’apparenterait au fait d’envoyer un sms ou un message sur un groupe « Whatsapp », et donc il ne semblerait pas essentiel de passer par Snapchat (pour suivre mon exemple précédent)) pour contacter les jeunes.
Bien entendu, ce média peut être utilisé afin de rentrer en communication avec les jeunes seulement par souci d’intégrer leurs nouvelles formes de communication, et ainsi mettre petit à petit un pied dans leur univers virtuel, chose que nous pourrions poursuivre de manière plus approfondie lorsque que le confinement serait terminé.
Une autre problématique semble être en rapport avec l’utilisation de ces réseaux. Comme nous le savons, ces médias sociaux permettent de publier, d’envoyer et de partager des photos du quotidien des personnes qui l’utilisent. Ils partagent donc ici une certaine intimité. De plus, l’expérience que nous avons de certaines problématiques liées aux réseaux sociaux montrent que les utilisateurs, qu’ils soient jeunes ou non , ne saisissent pas toujours l’importance et le danger que consiste le fait de se dévoiler. Donc nous pouvons imaginer qu’une photo de nature intime qui serait partagée de manière libre et sans restriction, pourrait être vue par les éducat.eur.rice.s sans même que la personne ne s’en soucie. Les jeunes ont en effet énormément de contacts, et nous pouvons ainsi imaginer qu’ils ne filtrent pas toujours correctement les gens auxquels ils publient leurs photos ou vidéos. Il s’agit du même principe que Facebook lorsque le compte est public et visible de tous. Aucun filtre, aucune barrière, visibilité totale. Encore une fois l’expérience a prouvé que certains jeunes ont pu se retrouver dans des situations délicates en ne faisant pas attention à la visibilité de leurs publications.
Nous entrerions alors dans une intimité du (de la) jeune non réellement voulue et désirée, par le fait qu’il.elle n’aurait pas fait assez attention à qui peut voir ses publications. Nous pourrions voir des choses ou actes qu’il.elle ne souhaiterait pas que l’on voie, et d’ailleurs que nous ne souhaiterions potentiellement pas voir non plus. L’intimité des jeunes se montre beaucoup sur ces types de réseaux, ainsi il semble pertinent de bien définir des règles au préalable avant de pouvoir, en toute cohésion d‘équipe et éducative, rentrer dans cette « rue numérique ».
Jusqu’où aller dans le visionnage de leurs publications ? Quelle est notre limite à fixer quant au visionnage des contenus partagés par les jeunes ? Que pouvons-nous nous autoriser à partager et relayer à partir du moment ou nous ne savons pas si ce contenu à été voulu comme étant partagé ? Pouvons-nous en discuter avec le (ou la) jeune si nous ne sommes pas sûrs que le contenu a été partagé en toute connaissance de cause ?
Toutes ces questions complexes qui m’amènent à penser que ce n’est pas si simple de pouvoir créer du lien avec les jeunes à travers ces réseaux, surtout en période de confinement. Peut-être qu’une réflexion semble plus pertinente en ce moment de confinement afin de pouvoir mettre en place un réel protocole lorsque nous serons de retour sur le quartier. Déjà que nous avons peur d’être intrusif lors de nos passages en rue, et aujourd’hui lorsque nous appelons les jeunes en étant confinés, je ne pense pas qu’il soit avisé de nous rajouter une source de potentielle intrusion sans que cela ait pu être discuté et avant d’avoir mis en place un réel travail de fond de nature éducative.