C’est principalement dans une démarche qui vise à tenir compte des nouvelles dynamiques territoriales que j’aborde ces changements de population. En effet, si les phénomènes de gentrification ne sont pas directement liés à la violence des jeunes, l’arrivée d’une nouvelle typologie de population à forcément un impact, tant sur la sphère privée, que sur l’espace public, auprès des populations jeunes issus de milieux populaires.
Par exemple, l’apparition de nouveaux commerces à destination de nouveaux résidents, se fait au détriment d’autres commerçants plus anciens auprès desquels les habitants et les jeunes de classes populaires sont « affiliés ». S’il serait faux de considérer la gentrification comme un facteur générateur de violence chez les jeunes de nos quartiers, à l’inverse, ne pas tenir compte de cet état de fait, serait nier une partie des « processus identificatoires » des jeunes à leur contexte de vie.
Je constate également depuis plusieurs années que les habitants « originels » expriment un ressentiment plus négatif sur leur quartier, alors que celui-ci tend à s’améliorer (moins de logements insalubres, moins de problématiques sur l’espace public…). Beaucoup de personnes souhaiteraient quitter le quartier s’ils en avaient la possibilité. On remarquera d’ailleurs un désinvestissement continu lors des fêtes de quartier, fête des voisins et autres évènement alors plébiscités par le passé.
Suite aux propos que m’ont fait plusieurs résidents « anciens », parents, adultes, jeunes et commerçants, je constate une représentation majoritairement négative du quartier selon eux.
De mon observation, si des problématiques récurrentes et de nouvelles existent, je ne peux nier une amélioration progressive du quartier. Que ce soit sur l’habitat, la présence de deal, d’incivilités et de personnes qui utilisent négativement l’espace public, les classements en ZSP, en QPV et les actions des acteurs associatifs et institutionnels locaux, ont participé à l’amélioration contextuelle.
Malgré cela, les habitants et utilisateurs historiques du quartier expriment un désir de quitter le quartier car ils l’estiment « pire qu’avant » selon eux.
Cette dissymétrie entre le réel et le fantasme s’explique, au moins partiellement, par l’avis négatif que les nouveaux résidents, qui sont issus de quartier très différents de celui de la Goutte d’Or, font remonter dans les instances public (mairie, conseil de quartier…). Les « anciens », de moins en moins représentatif dans les instances proposées pour rencontrer les élus ou les projets, semblent s’identifier d’avantage à cette représentation négative et stigmatisante diffusée par les media.
Etant difficile de pouvoir estimer si le nombre de conflits de voisinages a augmenté entre les nouveaux habitants et les anciens, le fait que les résidents « de longues dates » ne se reconnaissent plus dans le lieu de vie qu’ils ont connu, me semble constituer un indice important en défaveur de la mixité sociale.
- Quelles sont les influences, positives ou négatives, qui sont générées par ces processus ?
- Quelles incidences pouvons-nous définir, qui seraient en lien avec les problématiques de violences ?
Les missions inhérentes de la prévention spécialisée et la territorialité de son mandat, permettent un prisme d’observation privilégié pour constater et interagir avec la gentrification des quartiers.
Si l’on considère que ce processus est inévitable en région parisienne et qu’il génère parfois des incidences négatives sur la vie des jeunes, des habitants et des commerçants, l’intervention contextuelle des acteurs sociaux est en prise directe avec l’évolution sociale de nos secteurs.
Il est dès lors logique que des liens causaux puissent exister avec les problématiques de violences locales et notamment sur celles intra-jeunes. Dans tous les cas, ne pouvant pas orienter la gentrification, nous avons indirectement des actions qui visent à en « canaliser les conséquences ».
Sans être « agent de la gentrification », une réflexion chirurgicale sur l’évaluation des changements sociaux, économiques et culturels qui se produisent, autant dans la sphère privée que sur l’espace public, est primordiale. L’efficience des actions de l’APSAJ et des autres acteurs associatifs et institutionnels qui travaillent auprès de publics typologiquement différents, dépend de l’observation, l’évaluation, l’anticipation et de l’adaptation à ces mutations.
Dans le sens de notre action-recherche et des hypothèses et actions que nous y développons, nous pourrions comparer les données statistiques « froides » sectorielles et le diagnostic de terrain.
Cela pourrait permettre d’établir :
- une analyse plus précise de la situation sociale et économique, résidentielle et usuelle.
- une meilleure compréhension des liens existant entre les vecteurs conflictuels qui agissent sur les dynamiques exogènes et endogènes.
- des réflexions et actions abordés à différents niveaux stratégiques plus ciblées.
- parallèlement, il faudrait identifier et utiliser plus précisément les « espaces-temps » ressources issus de la gentrification.