Projet présenté lors de sa soutenance de thèse en février 2012.
Je vais aborder les six points suivants.
- Les raisons de la recherche
- Les questions que je me pose.
- Les résultats qui me semblent intéressants.
- Comment ai-je réalisé mon cadre d’observation ?
- Les limites.
- Les perspectives.
1- Les raisons de la thèse :
Cette thèse constitue l’aboutissement d’une démarche personnelle qui m’a conduit à théoriser ma pratique d’éducateur à partir d’une posture d’éducateur-chercheur.
C’est à partir de ce socle, de cette dynamique identitaire que je me suis engagé dans la conduite du projet de connaissance qui m’a permis d’allier la recherche et l’action.
Cette perspective de recherche a pris corps progressivement dans mon esprit à la suite d’une interrogation, qui dans mon cadre professionnel a provoqué mon étonnement et heurté ma compréhension, il y a maintenant plus de vingt ans.
Cette interrogation portait sur une situation d’enfermement à l’intérieur de murs invisibles qui me semblait assigner une catégorie de la population juvénile, dite de cité, dans le périmètre de leur espace résidentiel… respectif.
Cette situation m’interpellait …car :
- Elle constituait une énigme dans ma pratique
- Et en même temps, elle faisait écho à mon expérience de la communauté harkis.
J’eus le sentiment qu’il y avait une communauté de situation entre ces deux groupes (les harkis et les jeunes de cité). Une situation qui me semblait répondre à des caractéristiques communes.
Pour donner quelques exemples, ces caractéristiques font apparaître :
A l’échelle des individus :
- Un lieu attractif qui fonctionne comme un aimant.
A l’échelle du collectif
- L’intériorisation d’une appartenance au niveau des individus à une identité collective stigmatisée.
Dans sa dynamique sociale - Cette identité collective donne lieu à une relation d’interdépendance constituée par un différentiel de pouvoir (impliquant un encadrement assuré par des spécialistes).
Le but de mon entrée en recherche visait à :
- éclairer l’action, pour permettre aux jeunes de déplacer leur pôle d’intérêt à l’extérieur de leur espace de résidence,
- permettre à ces mêmes jeunes de devenir autonome dans la prise en charge de leur loisir,
- théoriser mon expérience sociale et ma pratique.
Initialement je voulais comprendre le phénomène d’attachement à l’espace de résidence qui se traduisait par :
- une tendance au confinement
- une conception dichotomique de l’espace.
Ce qui se matérialisait, par exemple, chez les jeunes et les moins jeunes, par une dévalorisation de l’autre et une sur-valorisation de soi dans les interactions de voisinage.
Il me semblait que les jeunes, dont je m’occupais, souffraient d’une incapacité individuelle à investir un objet extérieur à l’espace de résidence.
Cette idée était congruente avec la vocation de la prévention spécialisée dont la mission était d’intervenir sur des problèmes d’inadaptation sociale.
Seulement, je ne savais pas trop si les facteurs conduisant à l’inadaptation étaient liés aux individus où s’ils étaient déterminés par l’environnement.
La formation au collège coopératif a été déterminante dans l’élaboration de ma problématique, dans la construction d’outils de recherche participative et de mobilisation collective.
Les actions collectives construites à partir d’une démarche coopérative m’ont permis de confronter mes premières hypothèses au réel et d’identifier certains effets.
La question de départ était pourquoi certains jeunes de cité sont si peu disposés à investir un réseau social indépendant de l’espace de résidence ?
C’est donc à partir de la confrontation avec le public de la prévention spécialisée qu’une énigme professionnelle a émergé de ma pratique et que ma recherche est entrée en mouvement.
Dans ce contexte de la prévention spécialisée et de la politique de la ville.
- La jeunesse la plus visible, devient une raison d’être pour un ensemble de structures mobilisées pour encadrer l’activité de cette population dites « jeunes de cités ».
- Le degré d’attention porté à cette jeunesse par les pouvoirs publics et les travailleurs sociaux m’ont paru constituer un enjeu politique extérieur aux enjeux de socialisation.
L’ensemble de la communauté adulte semblait avoir adopté un même prisme qui les conduisait à designer les regroupements quotidiens de jeunes, dans la cité, comme un facteur de désordre majeur.
Ce facteur de désordre était délégué à des spécialistes de la jeunesse qui était mobilisé dans le cadre d’une norme intitulée « tranquillité publique ». En tant qu’acteur de terrain je ressentais cette norme comme une injonction sociale qui nous imposait de construire nos actions et concevoir notre pratique essentiellement à partir de cette problématique construite par la collectivité sans possibilité critique.
Or, j’avais développé une conception plus noble du métier d’éducateur de rue.
L’amorce de ce travail de recherche a donc été déterminée par ma pratique de terrain, en raison de son déplacement et de son instrumentalisation par un environnement qui affirmait son pouvoir d’emprise sur un mode de pensé et d’action qui était le mien et dont les principes était la libre adhésion, l’anonymat et la non-institutionnalisation.
De là naquît la décision d’associer à mon identité d’éducateur l’identité de chercheur, pour répondre au besoin de mettre à distance l’emprise d’un environnement qui imposait son mode d’appréhension au référentiel de l’éducateur de rue.
2- Les questions que je me pose.
Les questions qui précédent peuvent se résumer dans une question principale :
Est-il possible de mettre en œuvre une organisation émancipatrice qui soit autonome dans la définition de ses finalités, de ses valeurs et de son mode d’organisation.
3- Résultats qui me semblent intéressants.
Il me semble important d’avoir rattaché l’évolution de la politique de la ville aux conditions de son émergence dans les années 1980 et de faire l’hypothèse que son mode de gestion, est influencé par un référentiel post-colonial.
Ma recherche montre que vingt cinq ans après « la marche pour l’égalité », la question de la reconnaissance des population issues de l’immigration, que j’ai formulée et théorisée à partir de la notion d’ « assignation » et d’ « émancipation », présente un caractère qui révèle un « refus de relation » et l’institutionnalisation d ‘une « distance sociale ».
Dans ces univers façonné et géré par des politiques publiques de lutte contre l’exclusion, une dynamique de maintenance répond à la crainte d’un changement structurel qui ne se laisse pas envisager faute de grandes références de changement social.
- La recherche a montré que pour ces populations socialement « indéterminées » la norme administrative tend à se substituer à la conscience de classe qui définissait la classe ouvrière. Ceci dans un univers social qui est défini de manière exogène par sa localisation et sa population.
- C’est dans la mesure où les jeunes ont montré que leur identité pouvait entrer en mobilité lorsqu’ils étaient accompagnés dans ce sens, que la problématique de ma recherche s’est déplacée au niveau des organisations.
- Dans cette perspective l’analyseur prévention spécialisée, confirme l’encastrement économique du secteur associatif et son renoncement au paradigme militant. Ce déplacement s’inscrit dans un processus plus large de rationalisation du travail.
- Les résultats de la recherche montrent ainsi l’intentionnalité de la production de l’assignation par les associations, et la plus grande pertinence politique de la forme réseau.
- Le réseau dans la mesure où il donne lieu à une mutualisation de moyens entre acteurs exogènes et acteurs endogènes est porteur d’une dynamique de perméabilité et de mobilité sociale ; alors que la forme associative est soumise à des contraintes et des procédures qui limitent son engagement dans le domaine de l’accompagnement vers l’émancipation.
Ces résultats me semblent intéressants car :
- Ils rendent compte d’un processus de transformation sociale inscrit dans la durée.
- Ils sont dégagés et mis en évidence par un ensemble d’expérimentations réalisées par un acteur de terrain, qui articule le subjectif et le social.
4-Comment j’ai réalisé mon cadre d’observation.
Ma posture est une posture auto-réflexive et d’enquête de type ethno-méthodologique. Elle se veut compréhensive et non-directive lors de la réalisation des entretiens et de leur analyse.
Pour ce faire :
- J’ai cherché à m’inscrire en interface entre l’individu, le groupe et l’organisation qui forment une entité sociale.
- Pour observer toutes les parties engagées dans une situation, ainsi que leurs relations, j’ai voulu me situer à l’écart et en rupture avec les systèmes de valeurs et de croyances qui prévalent dans chacune de ces instances.
- J’ajoute que la notion d’espace et de distance sociale m’ont conduit à considérer l’espace sous la forme d’un lieu construit, vécu, symbolisé et perçu.
Ces différentes modes d’appréhension ont servi de grille de lecture dans ma recherche et mon accompagnement. Ils m’ont permis de porter mon attention sur les représentations et les croyances collectives, notamment de déconstruire les miennes.
Pour ce qui de mes hypothèses, elles résultent d’une démarche récursive, remanié par aller/retour tout au long :
- de l’élaboration de la thèse,
- de mon cheminement d’éducateur-chercheur.
Ma démarche de terrain est articulée à mes carnets de recherche, dans lesquels je consigne depuis plus de vingt ans, séparément mes remarques et mes observations.
Les observations contribuent à l’écriture monographique d’une situation qui me semble significative au regard de mon hypothèse. Ces observations ont porté par exemple sur un lieu, un groupe, une organisation qui m’ont servie d’analyseur. La partie remarques me permet de :
- Formuler les énigmes,
- Noter les conseils,
- Identifier l’émergence d’un processus, suivre son évolution.
C’est effort de distinction entre observations et remarques me permet de ne pas resté enfermé dans mes représentations comme dans les descriptions que je réalise.
Maintenant, venons-en aux limites de ma recherche.
5-Limites
Cette démarche ne s’inscrit pas dans une typologie de cherche établie et reconnue.
- Elle ne trouve pas sont principe de vraisemblance, dans le registre du répétable,
- Les institutions qui l’ont étayé n’ont pas été pleinement associées à la production des résultats, pour deux raisons majeures :
- D’une part en raison sa durée et de son caractère non programmable.
- D’autre part parce qu’elle n’a pas toujours bénéficié sur le terrain du degré de reconnaissance nécessaire à sa légitimation. Principalement en raison de mon statut d’éducateur qui du point de vu institutionnel ne pouvait être associé a celui de chercheur.
Toutefois, s’il s’agit d’une démarche de recherche individuelle… elle n’est pas pour autant individualiste. Elle constitue un analyseur impliqué dans une réalité sociale qui est source d’interaction collective.
Je souligne que les limites de cette recherche sont aussi les vecteurs d’une rupture, d’un déplacement et d’un chemin à partir duquel un commencement devient possible. Car la démarche que j’ai adoptée montre que si on ne peut pas changer l’histoire, il est possible de changer son rapport à l’histoire. C’est à dire, comme l’écrit Vincent de Gaulejac, « la façon dont l’histoire est agissante en soi. » Ce même auteur ajoute que c’est dans la capacité à penser ce que je suis que je me construis en sujet ».
Le choix d’inscrire ma posture de recherche à la frontière du social et du subjectif, et de concevoir cette même posture comme un écart face aux institutions m’aura permis de théoriser ma pratique d’éducateur à partir d’un mode d’appréhension conduisant à :
- L’articulation d’un corpus d’expériences .
- La mise en lien d’un ensemble de problématiques et de monde sociaux qui jusque là ne faisait pas l’objet d’un rapprochement me semble t-il.
Si la recherche ne s’intègre pas dans une typologie reconnue, elle se réfère tout de même à la conception d’Henri Desroches. Elle reprend le modèle du compagnonnage et de la personne projet. Tout au long de la recherche j’ai eu recourt à des personnes et des instances ressources pour aboutir dans ma recherche…
6- perspectives
Je pense que ce travail peut donner lieu à des recherches ultérieures dans le domaine des sciences sociales.
Je pense aussi qu’il intéresse un public de professionnels et de militants.
J’envisage donc sa diffusion dans le cadre :
- d’une publication
- de sa formalisation dans le cadre d’un dispositif de formation pour permettre aux praticiens de terrain d’intégrer ce type de démarche et les encourager à devenir des instituant.
En terme de recherche :
Je projette de continuer à travailler sur cette question de refus de relation et de développement social endogène, en même temps que sur les mécanismes de production de force sociale et de non-force sociale. L’approche par le principe du don me semble pertinente pour fonder un lien social émancipateur.
Ces approches permettraient notamment de chercher dans le domaine du travail social les conditions permettant d’une part à une organisation de valoriser l’émergence d’éducateurs chercheurs, et d’autre part d’adopter une configuration permettant à cette même organisation d’être au service des acteurs impliqué dans le réel. C’est à dire dans le système où s’applique les décisions et où les émergences et les processus endogène prennent corps. Les théories interactionnistes et les approches compréhensives me semblent intéressantes à mobiliser dans cette perspective de recherche.