Lignes de crête – octobre 2021
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Quoi dire de plus ? Les comptes rendus d’Ana et de Charles apportent déjà de nombreuses précisions sur les trois dernières interventions du Boomerang.
Quoi dire de plus, en lisant les réflexions et remarques de Françoise et de tous et toutes ?
Mais voilà, cette expérience est captivante, cette histoire commence et si nous ne sommes qu’au début de cette aventure, et qu’elle est parfois laborieuse, mon constat est sans appel :
Son histoire est belle et mérite déjà d’exister. Il y a tant à dire que je n’arrive même plus à réaliser un compte-rendu factuel sans me perdre dans des remarques et réflexions émotionnelles, voire irrationnelles.
C’est pourquoi j’ai préféré aborder nos dernières interventions sous une forme plus narrative qu’opérationnelle, tant les regards, les sourires et les mots recueillis m’apparaissent refléter davantage l’humanité qui se dégage de cet objet.
Cet outil Boomerang né dans le cadre de notre recherche-action sur la spirale de la violence est directement issu du laboratoire Lignes de Crête. L’avenir de cette démarche m’est inconnu, mais certaines hypothèses semblent déjà se dégager. Le Boomerang, c’est une expérience, c’est une recherche permanente qui fait sens avec nos missions. Présence bienveillante dans l’espace public, observation et analyse de ce qui s’y passe, interaction avec les dynamiques existantes, création de liens intergénérationnels, revalorisation de personnes (enfants, jeunes, adultes, familles, personnes âgées, seules ou en groupe…) souvent « disqualifiées » socialement, mise à disposition d’un « espace-temps » propice à l’échange, au dialogue mais sans être dans des formes d’adhésion obligatoire, etc…
Aller vers, libre adhésion, faire avec, anonymat, pratique non institutionnalisée, partenariat, bref, tous les ingrédients de la prévention spécialisée y sont réunis. C’est donc en totale adéquation avec notre mandat professionnel que nous investissons cet outil qui, s’il n’a pas vocation à révolutionner notre métier, s’annonce très pertinent tant sur la création de liens entre les individus de toutes typologies que sur les frontières physiques, sociales, psychologiques, réelles ou fantasmées.
En effet, si le travail photographique de Bertrand permet de sublimer l’humanité présente sur le Boomerang, les remarques, les observations et les réflexions évoqués dans les comptes rendus et les articles nous donnent l’opportunité d’ouvrir le champ des hypothèses.
« La superficialité de notre bonheur », la « profondeur de notre humanité », « l’introduction d’un espace de liberté où le rapport au temps est différent de celui générer par la société de consommation », « une forme d’initiation aux pratiques libertaires », « un espace-temps propice à l’être plus qu’au faire » …
Cette liste non exhaustive nous montre une partie de la pertinence de cet outil, tant sur le plan de la recherche-action, que sur l’aspect générateur de convivialité et plus spécifiquement j’ai trouvé, d’une manière presque « naturelle » lors de la dernière séance.
Bien sûr, il est impossible de savoir si cette « ambiance conviviale » se retrouvera à chaque sortie du Boomerang, car cela dépendra beaucoup de facteurs exogènes tels que la météo, les évènements qui peuvent avoir lieu le même jour à proximité, les dynamiques circulatoires ou présentielles et plus généralement l’ambiance de l’endroit au moment où nous y déployons l’espace mobile de gratuité.
Je confirme toutefois, en ce qui me concerne, une évolution significative et cohérente de l’outil et en accord avec les comptes-rendu et retours produits. Je suis de plus en plus surpris d’entrevoir les possibilités que le Boomerang permet. Si le lien direct avec la spirale de la violence peut sembler encore flou, cet espace mobile de gratuité correspond à notre approche contextuelle (travail sur l’environnement, le contexte de vie).
Dans ce cadre, il apparaît alors tout à fait adapté pour développer des « formes de valorisation non compétitives » qui diffère de l’utilisation de la violence pour exister sur le quartier et auprès du groupe de pairs. C’est donc avant tout la régularité de la présence du Boomerang qui, sur le temps long, pourra favoriser « une alimentation narcissique par la non-violence ». J’entends par là d’autres formes que la violence pour nourrir son « égo », en référence aux propos d’Anna :
« …la gratitude reçue de la part des habitants qui passent… »
D’ailleurs les remarques positives qui ont été exprimées sur la séance du 6 octobre étaient formulées de la sorte :
« merci d’être là », « merci d’exister », « merci pour ce que vous faites », etc.
Si cela peut sembler prometteur pour l’avenir du Boomerang, ces propos font principalement écho au verbe « être » et non au verbe « faire ». C’est parfois difficile de faire, ou d’être, mais si cet outil ne permettra peut-être pas à tout le monde de « faire », il permettra à minima « d’être ».
Aussi, si à ce stade de notre expérience, il y a davantage de personnes qui prennent que de personnes qui donnent, d’après Benjamin et sa grande expérience en matière de gratuité, c’est normal et cela s’équilibrera par la suite. De plus, si cela n’est pas le fonctionnement initial du Boomerang, l’alimentation d’objets via les partenaires précités nous permet de faire vivre « la machine », mais apporte aussi d’autres bénéfices. Déjà parce que cela permet de valoriser certains partenaires qui interviennent dans le domaine de l’accès aux ressources (Le poulpe, Emmaüs, Retour vers le futur). Mais c’est également par stratégie que le choix des objets récupérés et mis à disposition a été pensé : outre un intérêt au niveau de la communication autour de notre démarche, c’est avant tout pour tenter de capter une typologie de public plus particulière que nous avons choisi certains objets. Les vêtements semblent plutôt correspondre aux besoins des mamans et des adultes, les jouets, jeux et bandes-dessinées (et les mangas) suscitent eux plutôt l’intérêt des enfants et des jeunes. Il y a aussi, dans nos choix, une volonté de nous adapter à la temporalité des habitants, notamment en ayant proposé des fournitures scolaires depuis septembre et jusqu’à ce jour. N’étant qu’au début de notre expérience, il conviendra toutefois de veiller à ne pas ritualiser cette pratique afin de ne pas dénaturer la posture intrinsèque du Boomerang pour qu’il ne soit pas perçu (et ne devienne pas) comme une action humanitaire.
Enfin, ces dernières interventions, l’implication et les réflexions des bénévoles et le travail iconographique de Bertrand ont permis de me faire prendre conscience que « l’aspect symbolique » de cet outil apparaît au moins aussi pertinent que l’aspect réel, pratique et pragmatique de l’échange d’objet. Cet espace permettant des rencontres intergénérationnelles, intersectorielles, interprofessionnelles, inter statutaires (j’entends là socialement), c’est avant tout les rencontres humaines qui, à mon sens, apportent toute la richesse et la profondeur de cet outil et principalement en appréhendant ensemble la culture libre et non marchande.
Sébastien DOUSSAUD
Pour Lignes de Crête