L’analyse des pratiques professionnelles dans le travail social

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Dans la vie de l’institution, « l’analyse des pratiques professionnelles » est un espace nécessaire pour accompagner les travailleurs sociaux et le fonctionnement en équipe. Nécessaire dans la mesure où il permet au praticien un retour réflexif, ainsi qu’un moment de partage et d’élaboration (en transversalité) avec ses collègues sur l’action qu’ils mènent. C’est donc un lieu qui participe à la connaissance, mais aussi à la reconnaissance des professionnels ; car il offre la possibilité d’asseoir les compétences, d’affirmer les motivations et d’inviter à la progression.

Dans cet espace, chacun des acteurs doit pouvoir opérer progressivement un retour réflexif sur le sens de son action et produire un savoir issu de sa pratique. Pour aller dans ce sens, il importe de passer du groupe de base au groupe de travail, dans la mesure où le groupe de base rassure, protège, renforce mais aussi enchaîne, inhibe. Il tend vers un fonctionnement répétitif et routinier. Or, le groupe doit trouver les conditions et les modalités pour rassurer et renforcer tout en encourageant et en permettant la créativité de tous ses membres.

Mon rôle, en tant que tiers, est donc de favoriser l’autonomie des acteurs, de construire avec eux pas à pas les conditions qui leur permettront de se vivre comme auteurs de leurs missions, de leurs accompagnements. Il importe pour cela que les praticiens prennent conscience de leur propre fonctionnement, qu’ils identifient des intentions et des représentations communes et qu’ils se familiarisent avec le dispositif qui prend consistance avec l’apport de chacun. C’est une posture à mettre au service de la rencontre avec son environnement professionnel. Car il s’agit d’apprendre à se mettre dans la vision du monde de l’autre et d’acquérir, dans la façon de se connecter avec son groupe de travail, la confiance nécessaire pour partager son expérience pratique avec l’ensemble de ses collègues. Autrement dit, il s’agit d’apprendre à considérer, malgré les aléas, les désaccords, les contentieux et l’inertie, le fruit de l’expérience quotidienne comme un terrain de travail. Cette option permet de construire du sens là où, très souvent, il n’y a que du ressenti et de la solitude : je reprends ainsi possession de ce qui se passe en moi... (puisque la réalité est à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur de nous) en prenant conscience de la manière dont je comprends et envisage ma pratique présente, passée et à venir... Le groupe de travail m’aide à agir mais aussi à être plus attentif, centré, concentré et libre. Il m’aide à passer de l’action spontanée à l’action raisonnée. Le groupe de travail me demande aussi d’apprendre à me décentrer, c’est -à-dire d’apprendre à regarder et à écouter autrement, à sortir de l’habitude, du répétitif, du routinier... à explorer des contrées... à envisager que les choses et les relations puissent être autres.

Mon objectif est de générer des possibles, autrement dit un questionnement et des solutions qui émanent des intéressés et des destinataires eux-mêmes. Il s’agit donc d’induire un questionnement qui invite à sortir du cadre répétitif, avec pour finalité la construction d’un dedans, d’une intention et d’une représentation collective au cœur de l’équipe ou des équipes. Le maître mot est la « compréhension » entre les professionnels, par la construction d’un espace communicationnel qui permette le dialogue et la démarche réflexive à l’intérieur des équipes.

Le postulat qui oriente ma démarche, je l’emprunte à W. R. Bion. Cet auteur-praticien, à l’origine des recherches sur la dynamique des groupes restreints, considère que la façon dont les participants d’un groupe forment leurs « jugements est d’une importance capitale pour le groupe ; en effet, c’est de ces jugements mêmes que dépend l’épanouissement ou la détérioration de sa vie sociale ». Or, pour agir, il est indispensable que l’énergie nécessaire à l’action ne soit pas confisquée par la difficulté à cohabiter.

Dans cette intention, j’emprunte à cet auteur, la notion de « valence » à laquelle j’associe la notion de « création d’histoire commune », c’est -à-dire l’aptitude des individus à entrer en combinaison avec le reste du groupe. On peut décrire les dynamiques de groupe en termes de valence haute ou de valence basse et les accompagner pour améliorer les modes de coopération.

Au cours d’une séance inaugurale de deux heures, des règles de méthode sont énoncées qui vont permettre la mise en œuvre d’un fonctionnement spécifique du groupe et des participants, qui sont invités à alimenter les séances de leurs ressentis et pensées spontanées ; matière d’œuvre pour un processus relationnel dont les formes variées vont nourrir la suite entière des séances, qui peuvent évoluer sous une forme didactique, avec des textes et des apports théoriques permettant d’éclairer la pratique vécue sur le terrain par les professionnels.

Tout en respectant la commande institutionnelle, il me parait important de me sentir libre dans le choix des méthodes et des outils, cela me permet d’envisager l’action comme processus et d’intervenir avec une certaine sérénité, en respectant le rythme et la culture de groupe de l’équipe ou des équipes, c’est-à-dire sa structure à un moment donné, ses occupations et son organisation.

Tahar Bouhouia,
Docteur en sociologie des organisations,
Consultant en travail social et en analyse de la pratique.
Posté le 18 octobre 2023 par Tahar Bouhouia