Projet d’un espace de gratuité mobile (caravane de la gratuité).

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Comment mettre l’économie non-marchande au service du décloisonnement territorial et des politiques de prévention de la violence ?

Problématique

Pour améliorer le sort de personnes qu’elles considèrent comme étant en situation de détresse sociale, ou piégées dans des spirales de violence, les politiques sociales et les politiques préventives sont généralement orientées vers la réalisation d’objectifs intermédiaires :

  • la réinsertion par le travail,
  • la satisfaction des besoins économiques fondamentaux ; pour préserver leur bien-être et leur sécurité au sens large, ou pour tenter de réduire la délinquance que ces politiques rattachent à la précarité économique – et indirectement à la frustration qu’elle génère,
  • la réinsertion via la formation et l’apprentissage dans des organismes conventionnels, comme l’école.

Dans le travail social au sens classique, ces différents objectifs sont censés être atteints par le biais de dispositifs insititutionnels extérieurs aux personnes ciblées et à leur environnement (communauté, famille, réseau d’amis). Il résulte de ce développement « exogène », et c’est un fait aujourd’hui bien documenté, divers effets pervers : dépendance, sentiment d’infériorisation, aliénation, acculturation, etc.

Le projet présenté ici partage en partie les mêmes objectifs que les politiques sociales et préventives. Il s’agit d’aider les personnes à mieux supporter des situations de pauvreté ou à s’extraire de spirales de la violence dans lesquels elles sont entraînées contre leur gré. Toutefois, s’il vise à obtenir les mêmes résultats, il s’en écarte sur trois points :

  • Le développement endogène. Ce sont les usagers, leur communauté et même leur environnement, qui vont le prendre en charge et le développer [1].
  • La réalisation d’objectifs intermédiaires antagonistes. A savoir, permettre :
    • de vivre et de se valoriser en dehors du travail,
    • d’atténuer les frustrations induites par le marché, grâce à des échanges directs et non-marchands de biens et de services entre personnes.
    • l’apprentissage, l’acquisition et la transmission des savoir-faire en dehors de l’Ecole, à l’intérieur de ce qu’Ivan Illich appelle les « réseaux du savoir ».
  • La revalorisation de la pauvreté plutôt que son élimination, voire sa criminalisation.

La caravane de la gratuité

Le dispositif que nous proposons de tester en situation réelle pour atteindre localement ces objectifs est simple, peu coûteux et souple : il s’agit d’une caravane transformée en espace de gratuité et permettant la réalisation d’activités gratuites en réseau [2].

Comment fonctionne-t-il ? Comment répond-il aux objectifs énumérés plus haut ?

Fonctionnement et mise en oeuvre

La caravane de la gratuité est un espace de gratuité mobile. C’est à dire un contenant qui peut être déplacé, qui est en libre-accès et où l’on peut prendre et/ou déposer des affaires sans aucune obligation de contre-partie définitive. Le libre-accès signifie que toute personne respectant les règles de fonctionnement de l’espace, peut entrer librement et gratuitement dedans, sans discrimination.

Concrètement, les personnes entrent dans la caravane et se servent gratuitement comme elles veulent. Elles peuvent également déposer ce qu’elles ont envie. Elles peuvent aussi discuter, ranger, participer à la gestion et à la maintenance du lieu, accueillir les nouveaux arrivants.

La caravane peut être équipée d’un auvent, de tables et de chaises, augmentant ainsi l’espace disponible et facilitant les interactions sociales et surtout, les partages de savoirs.

Il est important d’insister sur le fait que tous les usagers peuvent alimenter et/ou « vider » la caravane. C’est un dispositif d’échange symétrique et non-conditionnel.

Les conditions d’appropriation, de déplacement et de stationnement de la caravane peuvent varier en fonction des contraintes techniques, réglementaires, mais également en fonction des objectifs de recherche et des demandes des usagers [3]. Il peut être intéressant, notamment, de déplacer la carane successivement à des points stratégiques tels qu’une zone de friction entre deux « territoires contrôlés par des jeunes » afin d’observer les conséquences.

Dans le cadre de ce projet de recherche-action, le dispositif doit nécessairement être accompagné d’un « échange non-conditionnel [4] » de savoirs et de services fondé sur les mêmes principes.

Avantages du format

Encore anecdotiques il y a une dizaine d’années, les espaces de gratuité sont aujourd’hui en plein essor. Ils se développent quantitativement et qualitativement [5]. Partis à l’origine d’initiatives privées intimement liées au développement d’Internet et des squats, ils ont longtemps été alimentés par des personnes avides d’échanger autrement et de proposer des structures « d’échanges non-marchands » dont elles espèrent bénéficier.

Néanmoins, l’implantation des espaces de gratuité dans l’espace public ou dans un lieu accueillant du public pose potentiellement deux problèmes pratiques :

  • Elle peut provoquer des réactions mitigées des pouvoirs publics. Ils peuvent soutenir ces initiatives citoyennes ou au contraire développer des réactions relativement hostiles à l’égard de ces nouveaux « intrus », surtout si elles proviennent des squats [6]. C’est ainsi que nombre de zones de gratuité de rue ont été démantelées sans guère de ménagement pour leurs usagers !
  • Elle génère des coûts de maintenance et de mise en œuvre souvent alourdis par le fait que le dispositif est potentiellement davantage sujet à des actes de vandalisme dans l’espace public.

Par exemple, un local transformé en espace de gratuité, est confronté à deux problèmes pratiques :

  • L’acquisition ou la location d’un local est « chère » et, bien qu’un espace de gratuité puisse être en partie financé en interne ou grâce à des aides extérieures, il est rare que les recettes couvrent les frais.
  • Si une boîte à livre se « régule » par elle même, il n’en va pas de même d’un espace de gratuité accueillant tous types d’objets qui peut, sans une maintenance régulière, dégénérer en un « cafoutche » peu attrayant ! Il est vrai que cette évolution n’est pas systématique. On observe que certains usagers rangent spontanément l’espace, mais cela reste malgré tout un problème qui ne peut être éludé.

Il en découle deux conséquences négatives sur l’implantation des espaces de gratuité.

  1. Cela limite quantitativement leur répartition sur les territoires et induit une centralisation qui peut aggraver les coûts de maintenance et de régulation.
  2. La charge de la maintenance et de l’implantation des espaces de gratuité risque d’être déportée sur les pouvoirs publics, rendant alors caduc l’aspect citoyen et spontané de telles initiatives. Ce qui n’est pas souhaitable sur plusieurs aspects : image d’un dispositif parachuté d’en haut et financé par les contribuables qui peuvent ne pas en comprendre le sens, contradiction avec les objectifs que les citoyens assignent à ces outils, aspect convivial de l’outil bien plus réduit, etc.

Il existe plusieurs solutions pratiques pour répondre à cette problématique. Je mentionnerai les principales.

  • « Virtualiser » l’espace de gratuité [7].
  • Améliorer la cartographie des espaces de gratuité existant [8].
  • Inciter les citoyens à partager directement leurs ressources, en s’appuyant d’une part, sur l’institution de la propriété privée, et d’autre part sur le partage réticulaire de l’information (Internet) [9].
  • Réduire drastiquement les coûts d’un espace de gratuité implanté dans un espace accueillant du public, même dans un local privé, en recourant au maximum à des ressources « non-marchandes » : bénévolat, auto-production [10].
  • Rendre les espaces de gratuité mobiles pour assurer une plus grande couverture territoriale [11].

Le « format » caravane est un excellent format en ceci qu’il combine les différentes solutions pratiques que nous venons d’énumérer.

  • Étant par définition mobile, il permet potentiellement la cartographie, le repérage et le « marquage » de zones de gratuité virtuelles. Il permet également de couvrir un territoire plus large aussi bien en terme de service rendu que d’incitation à participer dans des réseaux de dons ou de partage.
  • Les coûts d’acquisition, de maintenance et d’utilisation sont comparativement plus faibles qu’avec un local. Notamment parce que l’espace étant restreint, les coûts de maintenance du lieu en sont mécaniquement diminués.
  • La caravane capte l’attention et permet de diffuser efficacement l’information. Elle permet aussi de renforcer des « réseaux d’échange non-marchands » fondés sur la propriété privée, en proposant, par exemple, des tableaux d’annonce dédiés au don et au prêt gratuit.

Finalités

En quoi la caravane de la gratuité fait-elle écho aux problématiques que nous avons évoquées en introduction ?

Tout d’abord, il s’agit d’un outil de rencontre avec l’altérité. A double titre.

En premier lieu, il permet de « rencontrer », d’expérimenter corporellement une forme d’échange alternative, une autre interaction avec les objets et une autre façon d’appréhender la consommation. L’échange non-marchand s’inscrit ainsi dans un acte concret que les usagers vont être amenés à pratiquer occasionnellement ou plus régulièrement. Cette corporalité de la découverte de l’altérité est primordiale car c’est à travers elle que la personne peut prendre conscience et par là-même reprendre la main sur le contrôle de son corps, sur le « dressage » qu’elle a antérieurement reçu. Contrôle social du corps dont certains effets peuvent être à l’origine des phénomènes d’assignation et de marginalisation, notamment celui qui est mis en œuvre pour protéger et faire fonctionner l’institution du marché (par exemple, on apprend dès l’enfance à ne pas toucher les affaires qui sont dans un magasin). Contrôle incorporé donc, et par là même devenu presque invisible, et qui vise à assurer la pérennité d’un certain ordre social. Les hésitations, les tactiques d’évitement, les questionnements, les comportements compulsifs d’appropriation des primo-usagers vis-à-vis de ces dispositifs démontrent la difficulté qu’ils éprouvent à rattacher leur expérience à d’autres qui leurs sont familières. Ils démontrent également l’impact que ces dispositifs peuvent avoir sur des comportements puissament intégrés depuis leur enfance.

En deuxième lieu, le dispositif permet de rencontrer l’autre directement et indirectement à travers d’autres formes d’échange. Directement parce que l’espace d’échange est un lieu d’interactions sociales fortes et « positives » [12]. Autrement dit, il est ce qu’on appelle parfois un dispositif générateur de lien social. Mais aussi indirectement, parce que l’objet incorpore et véhicule toujours une part de l’autre. Rappelons à ce titre les brillantes analyses de Malinowski sur la kula dans laquelle l’objet se construit, trouve sa signification et sa valeur, au fur et à mesure qu’il progresse dans un circuit d’échange.

Cette Kula, toujours selon Malinowski, est par ailleurs dotée de différentes fonctions essentielles dans les sociétés trobriandaises :

  • elle socialise les individus ;
  • elle maintient la paix intertribale ;
  • elle incite à effectuer des expéditions vers les autres tribus ;
  • elle anime la vie quotidienne ;
  • elle répond au besoin organique d’institution qui émane de chaque individu ;
  • elle met en second plan la notion de propriété [13].

Bien sûr, il faut recontextualiser les propos de Malinowski. Néamoins, en translatant son analyse, on voit en quoi la transmission d’objets est un vecteur signifiant et un liant entre des personnes appartenant à une même « communauté » ou à des communautés différentes [14].

Mais il est important de bien rappeler que le lien qui s’établit, même s’il prend, en définitive, la forme d’une transaction « anonyme » n’est pas un lien concurrentiel ou un lien de domination marchande latente. Il se construit axiomatiquement sur une interaction brute, celle du don anonyme, beaucoup plus simple, voire frustre, épurée du stigmate de la honte, du rapport hiérarchique que véhicule le don caritatif ; délesté de toute la complexité, de toute la gangue institutionnelle, coercitive et hautement symbolique qui sert de fondement à la réalisation d’un échange marchand. L’« échange non-marchand » frappe par sa simplicité extrême, et par la robustesse que cette simplicité lui procure.

Cette dernière caractéristique lui confère, relativement aux thèmes qui nous intéresse, plusieurs propriétés intéressantes. La première, et non des moindres, est qu’il permet à des personnes en situation de précarité économique (ou non) de s’approvisionner en ressources très diverses, librement, simplement et sans éprouver de gêne. C’est déjà un aspect pratique important [15]. La deuxième est qu’il permet une « déprogrammation » des habitudes, des routines et des certitudes qui constituent la base de l’échange marchand, et offre ainsi un nouveau cadre d’action et de représentation aux personnes qui en deviennent usagères [16]. Cette gratuité brise, du moins pour ceux qui y sont réceptifs, une partie de l’arrière-plan idéologique qui entoure l’échange marchand et le travail, son éternel allié. Ainsi, elle permet que s’aménage une distance, une prise de recul par rapport à eux. Si l’on prend par exemple des notions comme la rareté, l’obligation morale de contribuer, l’interdiction de voler, autant de notions qui, dans certains contextes ont de nombreuses similitudes avec la pensée magique, elles se trouvent totalement transformées, métamorphosées, lors du contact avec un tel dispositif. Elles ne disparaissent pas pour autant, mais, elles subissent comme une sorte d’épochè [17], elles se réduisent, dans une perspective très marxiste, à leur pure dimension matérielle. Il y a retour au fait brut décrit par John Searle ! Et, de ce fait brut, émerge le constat que l’idée de rareté, pilier de la légitimation de l’échange marchand, est à reconsidérer entièrement. Autrement dit, la personne qui entre au contact de ces dispositifs est initialement déstabilisée. Elle prend parfois conscience que ses représentations sur la rareté, qu’elle hérite le plus souvent du sens commun, sont en partie remises en cause.

Cette prise de distance est sans doute un pas indispensable pour parvenir à s’extraire de l’idéologie de contrôle social qui enjoint aux personnes en situation de précarité sociale de rester à leur place. Et, mûe par un développement endogène [18], elle peut permettre à la fois aux personnes en situation de précarité de se prendre en charge collectivement et par eux-mêmes, et de se construire une représentation collective, des outils de réflexion qui amènent à reconsidérer la notion même de pauvreté. En dissociant l’accès aux ressources du niveau de revenus, elle permet, d’une part, la possibilité de vivre une situation de pauvreté, volontaire ou non, plus sereinement, et la possibilité, bien sûr relative, de prendre certaines distances vis à vis de l’injonction de travailler qui prévaut dans les sociétés occidentales.

Autre point, comme nous l’avons vu, la caravane peut également être un outil de transmission et d’apprentissage de savoirs et de services. En s’appuyant sur un principe simple (n’importe qui peut proposer et recevoir des savoirs et des services), elle a plusieurs conséquences, dont la revalorisation probable de personnes en situation d’échec face au système scolaire ou au travail.

Enfin, la caravane peut servir à diffuser des messages de prévention, notamment sur la violence.

Heuristique

Sur le plan de la recherche, un tel dispositif est intéressant à trois niveaux.

Tout d’abord, il s’agit de tester une hypothèse de fond. Comment, dans le cadre d’une démarche de développement endogène, offrir à des jeunes en voie de marginalisation un outil qui leur permettra de rechercher des alternatives, de penser et de mettre en pratique des transformations individuelles, communautaires et sociales ? Comment vont-ils mobiliser cet outil ? Vont-ils se l’approprier ? Peuvent-ils ainsi mieux réussir à aller à la rencontre de l’altérité, à se décentrer ? Comment, engagés dans un processus de changement et de reliance, d’échange alternatif, vont-ils pouvoir se co-construire avec leur communauté et avec leur environnement, en dehors d’institutions qui, sur bien des aspects, les maintiennent dans leur condition ? Quel regard vont-ils porter sur la marginalité après cette expérience ? Comment peuvent-ils transformer l’outil en fonction de leurs objectifs ?

Nombre de questions se posent également quant au fonctionnement du dispositif et plus spécifiquement sur le thème de la gratuité. Qui seront les usagers et les non-usagers ? Quels seront leurs motivations, leurs profils et leurs pratiques (adhésion, évitement, dénigrement) ? Quelle va être le profil cinétique de leurs usages ? Quantité d’affaires prises pendant certaines périodes, temps passé, régularité, répétition. Quelle sera l’évolution des représentations et de leur façon de percevoir la gratuité ? Quelles affaires seront prises, amenées, jetées ? Toutes ces variables vont-elle être modifiés en changeant certains paramètres : emplacement, heures d’ouverture, présence d’accueillants (ou non) ? Quels services, quelles savoirs vont être proposées ? L’influence d’un acceuillant pourra-t-elle se faire ressentir sur ces choix ?

Enfin, on peut s’interroger sur les effets attendus du dispositif ? Dans quelle mesure celui-ci répond à une attente réelle en terme d’approvisionnement de ressources pour les usagers ? Quel impact peut-il avoir sur le rapport aux autres ? Comment le déplacement de la caravane d’une zone à l’autre va-t-il être perçu, appréhendé par les jeunes et par leur environnement ? Cela aura-t-il pour les jeunes un impact sur leur sentiment de colère, de frustration, sur la violence qu’ils peuvent ressentir ou faire subir ? Cela peut-il leur redonner, pour certains, un sentiment de fierté, l’impression de vivre une expérience enrichissante ?

La variété des hypothèses requiert la mise en place d’une méthodologie de recherche plurielle, alliant recherche-action, observation participante, entretiens et méthodes quantitatives.

Coût et financement

A combien peut-on estimer le coût d’une caravane de la gratuité ?

S’agissant du coût d’acquisition, il faut compter en moyenne entre 500 et 3000 € pour disposer d’une caravane circulante et opérationnelle. Il est même parfois possible d’en trouver à donner. A cela, on peut ajouter le coût de l’aménagement de la caravane qui est plutôt faible. Fabrication des étagères, mise aux normes anti-incendie, installation d’une lampe à énergie solaire, qu’on peut estimer très grossièrement à une somme comprise entre 500 et 1000 €.

S’agissant du coût de fonctionnement, plusieurs types de frais sont à attendre : réparation (difficile à estimer), déplacement, stationnement, assurance (faible), communication (peut être externalisé).

Tout cela ne prend pas en compte, naturellement, ni le temps passé à l’aménagement, la maintenance, la réparation, le déplacement de la caravane, ni le temps consacré à la recherche.

Certains frais peuvent être couverts en partie de deux manières. En installant une caisse à l’entrée de la caravane, alimentée par les dons des usagers (on peut estimer les revenus à 50€ / mois, mais c’est très variable). En proposant de faire payer à des organisations (commune, festivals, marchés) le service qui consiste à amener la caravane pour accompagner des évènements. Cette option est loin d’être irréaliste car un tel service est de plus en plus demandé. La prestation de service peut alors atteindre, pour donner un ordre d’idées, des valeurs comprises entre 500 ou 1000 €.

[1Cette démarche s’intègre dans celle de la recherche-action participative ou lewinienne. Il s’en suit que la réussite de l’action entreprise n’est ni garantie ni même possiblement évaluable. D’autre part, comme elle suppose que l’intention de changement provienne du groupe lui-même, ni la violence, ni la pauvreté, ne doivent être considérés comme des éléments à éliminer « à priori ». Le projet se place à ce titre dans la démarche non-directive d’inspiration rogérienne qui consiste à ne pas imposer des objectifs exterieurs aux personnes ciblées via l’action de changement (le changement doit être co-construit).

[2Une caravane de la gratuité a déjà été déployée dans un autre contexte, et avec des finalités différentes, dans le cadre d’une expérimentation mise en œuvre par l’association GratiLib (secteur occitanie).

[3Il pourrait être intéressant d’appliquer en partie certaines des règles d’échange du contenu présent dans la caravane au contenant lui-même et d’observer ce qui peut en résulter.

[4Pourquoi parler d’échange non-conditionnel. Parce qu’en pratique, le lieu agit comme un espace d’échange. On amène librement des affaires ou des savoirs et on peut en prendre librement.

[5Ainsi, le projet Dead Drop permet le partage direct de contenus numériques à partir de clés USB fixés dans les murs.

[6Bien qu’il n’y ait pas d’étude sur le sujet venant corroborer une telle hypothèse, on peut supposer que cela reflète des conflits internes : le service de développement d’une mairie y sera favorable tandis que le service technique y opposera des résistances.

[7Cettte démarche expérimentale est en cours de développement au sein de l’association GratiLib. Elle consiste à construire et à diffuser une signalétique, des marqueurs, permettant aux usagers de repérer des « zones » dans l’espace public pouvant être utilisés comme des espaces de gratuité. Elle pourrait s’appuyer sur l’outil numérique, en se fondant sur la technique de la réalité augmentée.

[8Il existe des sites dédiés à cette effet, par exemple, falling fruit ou http://nonmarchand.org créé par l’association GratiLib.

[9Une étape supplémentaire pouvant consister décentraliser l’information disponible, ce qui recoupe en partie les thématiques de l’open data et du peer-to-peer.

[10Cette démarche, rare en France, est expérimentée à la maison non-marchande de Puivert dans l’Aude (11) où elle a fait la preuve de son efficacité.

[11Sans entrer dans les détails, cette dernière solution peut se faire de diverses manières. Une solution intéressante testée au sein de l’association GratiLib est de rendre les contenants « nomades », sur le modèle du bookcrossing. Si cette solution convient aux boîtes à livres, elle peut s’étendre à des véhicules, notamment une caravane. Comparativement à un véhicule motorisé, le prêt est techniquement et légalement plus simple.

[12On doit toutefois nuancer ce point. D’une part, on peut observer, même si c’est assez rare, des conflits de rivalité dans l’appropriation des ressources, qui même s’ils n’apparaissent pas au grand jour, peuvent être souterrains. D’autre part, si une communauté émerge, elle peut viser à normer ou à proscrire certains comportements jugés indésirables. En particulier, et c’est récurrent, le rangement et la revente d’objets.

[13Source : <https://fr.wikipedia.org/wiki/Kula_...> consulté le 06 octobre 2019 à 12h37.

[14Dans les expériences organisées au sein de l’association GratiLib, deux observations sont venues renforcer cette idée. Tout d’abord, certains objets présents au sein du magasin gratuit de Puivert reviennent fréquemment après être « partis », ce qui rappelle à nouveau les observations de Malinowski relatives au fait que l’objet doit être redonné assez rapidement, et, autre point intéressant, les habits sont souvent portés à tour de rôle par les différents usagers. Il en résulte, à la vue des discussions que j’ai pu avoir à ce sujet, un fort sentiment d’appartenance à une même communauté d’échange. L’autre observation probante est venue d’une conversation informelle avec un « zonard » tenue autour de la caravane de la gratuité qui venait d’être déplacée à Foix pour une journée, alors qu’habituellement, elle circule plutôt sur le secteur de Limoux. Elle arrivait donc en « terre étrangère », dans un sens ! Or, celui-ci était « émerveillé » par le fait que ces affaires puissent venir de Limoux. Selon lui, cela créait une sorte de lien invisible avec les habitants de Limoux. Il a longuement insisté sur ce point. Et je rend hommage à son analyse car sans lui, je n’y aurais probablement pas pensé.

[15L’expérience du magasin grauit de Puivert est de ce point de vue concluante. Une grande partie des néo-ruraux de la haute-vallée de l’Aude, ainsi que ceux d’une partie de l’Ariège, viennent s’y vêtir.

[16Il serait intéressant, d’ailleurs, de comprendre pourquoi certaines personnes ne veulent pas être usagers.

[17Je renvoie ici notamment aux travaux de Schütz.

[18Elles pourraient faire écho, à ce titre, aux expérimentations relatées par Carl Rogers des groupes de hippies qui se rassemblaient pour construire des centres d’aide aux drogués auto-gérés.

Posté le 8 octobre 2019 par Benjamin Grassineau