Développement endogène

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Au sens large, le concept de développement endogène désigne une transformation sociale qui est considérée comme une « amélioration », un progrès, et dont la nature, les finalités et les moyens demeurent sous le contrôle des acteurs qui la portent. Il s’oppose en cela à d’autres formes de développement qu’on pourrait qualifier d’exogènes et qui, en simplifiant, recoupent un ensemble de transformations sociales imposées et parachutées de « l’extérieur » sur une « population endogène » qui en subit les effets (positifs ou négatifs) et qui dès lors n’a plus de prise, de pouvoir d’agir, d’autonomie sur certains pans de son existence - du moins ceux qui sont affectés par le développement.

On remarquera d’emblée la proximité de ce concept avec celui d’aliénation cher au marxisme, dans lequel la perte d’autonomie se conjugue avec des formes de domination économique et sociale. Néanmoins, la notion de développement endogène (qui lui est symétrique) est à la fois plus générale, dans le sens où l’aliénation n’est pas nécessairement intégrée dans la théorie de la lutte des classes ou de façon plus restreinte dans une approche critique du capitalisme ; et plus spécifique, car elle circonscrit le champ de la réflexion à une catégorie particulière du changement social, celle du développement. Autrement dit, des catégories de transformation sociale ne sont pas englobées dans le développement endogène : la crise, le déclin, le changement cyclique, des processus non finalisés ou des processus qui sont hors de portée de l’action humaine.

Reste à savoir comment cette amélioration peut exister et être considérée comme telle ? Et aussi, qui va en décider ? Car si, conformément à la définition et au but recherché, les finalités doivent rester sous le contrôle de celles et ceux qui vivent la transformation sociale, alors eux-seuls sont à même de déterminer s’il y a bien une amélioration de leur condition. Cela ne peut se produire qu’à la condition que cette connaissance demeure entre leurs mains et qu’ils sachent la mobiliser. Si des acteurs exogènes à la situation, que ce soit en leur qualité d’évaluateurs, de transformateur, de financeur, de donneur d’ordre, gardent un contrôle exclusif sur la capacité à définir, concevoir et évaluer la nature du changement social qui les affectent, comment les acteurs endogènes pourront-ils mesurer, appréhender par eux-mêmes le sens, la direction, de ces changements qu’ils observent, produisent ou découvrent ?

Question complexe, car il arrive que « l’existence » même du changement dépende de la façon dont les acteurs en prennent connaissance, y « prêtent attention ». Par exemple, lorsque l’implantation d’un dispositif sur un territoire est faite de manière non concertée, voire n’est même pas connue des habitants, pourra-t-on parler de développement ? D’autant plus si, en dehors de la transformation physique très localisée induite par la présence du dispositif, rien de concret ne se produit. Pour autant, qu’en pensera le financeur ? À vrai dire, tout dépendra en la matière des indicateurs qu’il choisira de retenir... D’un point de vue constructiviste, c’est alors lui qui parviendra à imposer sa propre réalité du changement.

De façon assez théorique, cette dimension épistémologique du développement endogène le rattache de fait à une forme assumée de relativisme. Puisque le groupe porteur du changement social doit être à même de construire une finalité et un sens au changement selon des critères qui sont les siens et qui ne seront pas forcément ceux du financeur ou ceux qui sont retenus dans le programme parachuté par les instances bureaucratiques… Mais comment cette construction du sens, comment cette connaissance du changement peut-elle se déployer dans le réel ? En pratique, de la même manière que les outils qui assurent les conditions de l’autonomie matérielle. Mais ici, il faut remarquer que le concept même de développement endogène peut renvoyer à deux approches difficilement compatibles.

La première approche, qui fait écho à la psychosociologie, considère que la nature du processus de développement importe peu. Dès lors qu’il est porté par un endogroupe, on peut parler de développement endogène. La participation d’un agriculteur « local », d’un habitant du village, à la conduite d’un tracteur entièrement conçu et détenu par une multinationale, relèverait alors du développement endogène, du moins comparativement à une situation où ce serait un agriculteur « non-local » qui accomplirait cette tâche.

On remarquera que le développement s’inscrit alors à l’intérieur du courant idéologique localiste..., dont il partage les limites. Le problème est en effet qu’un processus de développement peut être de bout en bout piloté par des acteurs locaux mais conduire, in fine à des situations d’asservissement ou de domination. Après tout, pour reprendre notre exemple, rien n’est précisé sur le statut de l’agriculteur en question : esclave, salarié, bénévole…

L’autre approche, d’avantage socio-économique, considère le développement endogène comme une transformation qui opère dans une totalité qui englobe les dimensions techniques, « juridiques » et cognitives. Dans cette optique, le développement endogène tente de maximiser tous les éléments qui concourent à autonomiser les acteurs-réseaux (incluant des entités de différentes natures) par rapport à des systèmes, des processus, qui les aliènent. Il s’agit à ce titre de recentrer la capacité d’action, la capacité de penser, d’élaborer des finalités, non pas seulement sur un endogroupe ou un exogroupe, mais sur la maîtrise des systèmes en général.

Du point de vue théorique, la tâche est sans doute plus ardue. Puisqu’il s’agit alors d’explorer et de mettre en évidence les différents éléments, les différents processus, qui concourent à réduire l’autonomie. Risquons une analogie avec les mathématiques, on ne s’intéresse plus tant à la valeur de la variable qu’à la valeur de la fonction. Ainsi, à la question de savoir si le développement est porté par un acteur endogène ou exogène, se substitue celle de savoir si les connaissances, les outils, les process, les produits qui accompagnent le développement, sont conçus pour rester sous le contrôle des usagers au sens large (producteurs et consommateurs). La convergence avec le concept « d’outil convivial » défini par Ivan Illich est alors très claire. Et dans cette optique, il faut ajouter que l’exact opposé du développement endogène, est ce qu’Ivan Illich aurait appelé l’action hétéronomisante de « l’institution manipulatrice ».

Très stimulante, cette approche n’est toutefois pas sans soulever une difficulté. Comment discriminer entre le développement endogène et le développement exogène si on ne prend pas en compte une population, un territoire concerné qui peut servir d’élément de référence, d’étalon de mesure ? Mais tout bien réfléchi, cette possibilité n’est nullement exclue. Car l’analyse du développement peut être circonscrite à un territoire donné et ainsi venir alimenter une enquête comparative. Néanmoins, les éléments qui vont constituer l’analyse ne seront alors pas les mêmes que dans la première approche. La démarche observationnelle sera inversée. Sur un territoire ou sur une population donnée (fixés), on pourrait ainsi centrer l’observation sur des variables comme le niveau d’appropriation possible des éléments qui composent le processus de développement par les usagers. Par exemple, dans la mise en place d’une politique de développement agricole, la complexité technique et épistémique des outils déployés (tracteur impossible à réparer vs charrue), les barrières juridiques (brevets, droits de propriété), l’intensité du rapport marchand (obligation d’acheter les intrants, de revendre les extrants, de salarier les producteurs, etc.), l’impossibilité de pratiquer l’auto-production aux différentes étapes de la chaîne de production → distribution → usage, l’appropriation exclusive des produits et des ressources par des acteurs extérieurs au territoire, vont accroître la distance entre le processus en question et ce qu’on pourrait appeler le « prototype » du développement endogène.

On peut observer à ce titre combien la notion de développement endogène entre en résonance avec la critique de la techno-science. Car, pour conclure, elle renvoie à une volonté tout à fait légitime des acteurs de reprendre en main les outils de la transformation sociale, et donc, de réduire l’interface artificielle qu’elle soit technique, épistémologique ou juridique entre eux et le monde qui les entoure.

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